En Thailande à vélo

Billet d'avion en poche, nos deux VTT emballés dans leur carton, nous quittons la France avec le projet de ne pas faire de ce voyage une épreuve sportive mais de passer la journée à pédaler, regarder autour de nous et bien manger.

19 jours de vélo et 1400 km plus tard, réjouissons-nous de n'avoir pas été plus ambitieux : avec une moyenne de 72 km par jour sous une chaleur dépassant souvent les 30 degrés, nous avons chaque jour bien mérité notre repas du soir...

1 - Quitter Bangkok 
Quitter l'aéroport de Bangkok avec 2 cartons de 2 mètres, c'est compliqué. Nous trouvons un grand taxi qui nous emmène dans un hôtel coincé entre l'aéroport et une usine et passons la matinée à déballer et à remonter nos vélos. Avant midi, nous nous plongeons dans la jungle urbaine de la banlieue de Bankgok et partons vers le sud sur une autoroute bruyante et encombrée de véhicules de toutes sortes.



Nous roulons sur la voie réservée aux deux-roues. Il faut être attentif car ici en voiture on roule à gauche, mais à deux-roues on peut aussi rouler à contre sens. De manière générale, les conducteurs sont calmes et courtois. J'ai chargé sur notre GPS un probable itinéraire et nous nous aidons d'une carte routière. Les panneaux indicateurs sont en alphabet thai et parfois en romain à l'approche d'une ville ou d'un village. Après une trentaine de kilomètres éprouvants, nous quittons la capitale et trouvons assez difficilement le ferry qui traverse le Chao Praya baignant Bankgok du nord au sud.  

Dans cette région agricole, nous sommes surpris de toute cette pauvreté : une paillote à l'avant, un abri de bambou sur pilotis à l'arrière pour toute la famille, quelques hamacs, une mobylette, des chiens, des chats et des coqs ... ce sont les éléments qui marquent les propriétés...
Le long des bassins d'élevage de crevettes, de gros iguanes plongent dans l'eau à notre passage. Il est 17h, le soleil décline et il est bien possible qu'il fasse nuit bientôt...  Encore quelques kilomètres et nous trouvons sur indication d'un cycliste, au bord de la mer, un bungalow sur pilotis que la marée montante viendra lécher dans la nuit.

Le premier enseignement de cette étape se vérifiera jusqu'au bout du voyage : nos estimations de distance et de temps sont TOUJOURS trop courtes. La Thaïlande est un pays très étendu, avec près de 1800 km du nord au sud ...
Mark, navigateur en chef
Le jour qui suit, nous roulons plusieurs kilomètres à travers des rizières, des élevages puis des plantations de cocotiers. Nous quittons à regret nos petites routes de campagne pour remonter sur l'autoroute car il n'y a pas d'autre itinéraire possible. Nous évoluons parmi les vieux camions, les 4x4 polluants, les égouts nauséabonds et partout des déchets plastique au sol : le milieu urbain offre un spectacle de pollution affligeant. Nos 5 sens sont mis durement à l'épreuve sur la route, sans parler de la chaleur et du soleil qui nous cuit la peau. 

Nous avions repéré un hôtel sur internet et nous le trouvons sans peine : un oasis au milieu de nulle part. Il n'y a rien à 15 km à la ronde sauf un temple à l'intense activité : un prêche public et lourdement sonorisé y est organisé, la voix du moine est grave, monocorde, des coups de gong ponctuent sa litanie et... ça dure pendant plusieurs heures. Le soir, affamés, nous partons pour une folle virée en tuk tuk vers le marché flottant d'Amphawa.

2 - La côte du golfe de Thaïlande
Dans les villages que nous traversons, il y a des chiens partout, la plupart du temps ils sont très calmes et, accablés de chaleur, ils sont étendus au bord de la route. Certains ont peur de nous, aboient et aimeraient bien nous croquer les mollets. Souvent ici on habille, on déguise et parfois même on maquille les chiens. Quelle que soit la signification de ce rite, les animaux sont choyés autant que les hommes.
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Enfin nous pouvons circuler sur une petite route qui longe la mer vers le sud. Il y a beaucoup de champs cultivés et maintenant aussi beaucoup d'activités liées à la pêche : bateaux colorés, poissons qui sèchent sur des claies, réparation des filets, paillotes sur la plage ... Ce sera notre quotidien visuel pendant plusieurs jours. La route est plus ou moins toujours plate et, avec le vent dans le dos, nous avançons bien et faisons de longues journée sur la selle.  Nous continuons notre descente vers le sud et les paysages se renouvellent peu : la mer à notre gauche, les plates étendues agricoles à droite et pas grand chose pour se distraire sauf  quelques bains de mer et des promenades sur la plage.

3 - Escapade dans le Parc national de Kaeng Krachan
L'envie de changement étant la plus forte, nous passons deux jours dans la forêt du  parc national de Kaeng Krachan. En nous éloignant des régions fréquentées par les touristes, nous quittons aussi les hébergements potentiels et les indications en alphabet romain... Aucun hébergement n'est répertorié sur internet dans la région, sauf ceux de l'entrée du parc, ce qui nous aurait contraint à de trop longues étapes.
Dans l'avion, nous avons vu le film "le Livre de Pi" et voilà que nous rencontrons Richard Parker !

Nous continuons notre chemin sans nous aventurer à l'intérieur du parc et retournons vers la côte par de charmantes petites routes. Les cultures sont tres variées  ( tapioca, ananas, bananes, cocotiers, piment rouges, canne a sucre...) et les rues de villages sont des basse-cour. Quand il nous arrive de demander notre chemin, ce sont plutot les enfants, plus anglophones que leurs parents, qui nous repondent. Faute d'obtenir des renseignements fiables et utiles, ces moments sont toujours l'occasion de contacts joyeux et souriants. Quant à la question de trouver un lit ou dormir, de réponse évasive en réponse évasive, nous continuons de rouler dans la nuit à la lampe frontale jusqu'à trouver un asile.

4 - Retour sur la cote
Nous attendions beaucoup (trop) des plages thailandaises : nous nous trouvons encore trop au nord pour que les eaux soient transparentes. Ici, l'eau à la couleur de l'Atlantique. La mer grignote la terre et on voit bien la trace des parties urbanisées qui disparaissent sous les assauts des marées. Des travaux gigantesques sont en cours pour contenir la mer. Mais rien ne nous donne moins envie de nous baigner que de voir tous ces égouts déversés dans la mer. Après quelques jours à descendre vers le sud par de fantastiques routes cotières (notamment la Royal High Coast Road entièrement doublee d'une piste cyclable), nous changeons à nouveau de cap pour le centre-ouest du pays, plus montagneux, et tentons la grande expérience du train.


5 - Le train
Dans la petite gare de Prachuap Kiri Khan où nous avons pris nos billets (le billet pour les vélos coûte deux fois plus cher que le nôtre!),  notre train a du retard : nous en profitons pour observer l'effervescence de la fin de semestre scolaire : c'est la fête dans les écoles,  les enfants paradent en ville et se produisent en spectacle un peu partout toute la matinée. Enfin à bord du train, nos vélos sont placés en queue du dernier wagon et nous nous installons dans la classe unique. En Thailande, les trains sont de véritables restaurants : les vendeurs passent et repassent sans trêve avec à la bouche le même refrain répété sans relâche. Après deux heures, notre train n'avance plus très vite, et finalement si lentement qu'il s'arrête en rase campagne pour ne plus repartir. Attente. Les gens discutent entre eux et personne ne parle anglais. Il y a quelques annonces au micro, puis un train de 2 wagons se range à côté du nôtre et en 2 minutes, la presque totalité des passagers de nos 10 wagons s'entasse dedans. Nous n'aurions eu aucune chance d'y monter avec nos vélos. Nous restons là avec quelques personnes âgées. Que faire d'autre que de repartir à vélo ? Dans la soirée douce, nous roulons  jusqu'à une grosse bourgade avec un marché de nuit qui provoque une énorme effervescence et qui dispose heureusement d'un bon hôtel.

Le lendemain nouvelle tentative plus heureuse : cette fois-ci nous arrivons à destination avec 2 heures de retard. Mais pour quelle destination ? Ban Pong, ville distante de quelques kilomètres de la ligne ferroviaire de l'ouest qui bizarrement ne croise pas celle du sud par laquelle nous arrivons. Avec cette arrivée tardive, nous nous trouvons à nouveau à pédaler à la nuit tombante, sur la bande cyclable de l'autoroute jusqu'à la grande ville de Kanchanaburi.

6 - A la recherche du calme
La visite de Kanchanaburi impose les différents lieux touristiques surexploités des  rivières Kwai et Mae Klong et un arrêt dans les lieux de mémoire et de recueillement pour les très nombreuses victimes de la construction du chemin de fer réalisé par les prisonniers de guerre alliés pendant la 2ème guerre mondiale. Ce qui nous intéresse au-delà de la ville, ce sont les lacs en amont, les parcs nationaux et les montagnes environnantes.
 
Nos journées sont rythmées avec discipline : se lever, emballer nos affaires dans notre petit sac à dos de 6 kg qui constitue notre unique bagage, monter sur nos vélos, trouver si possible un petit déjeuner sucré (c'est difficile le riz sauté le matin...), s'arrêter dans plein d'épiceries pour acheter à manger, rouler 5 ou 6 heures, trouver à dormir et à manger à nouveau. Les journées ainsi passent vite et sont remplies de contacts et d'échanges, commerciaux ou non, car nous suscitons la curiosité. Les Thailandais ne sont pas timides et leur sourire n'est pas une légende. 

Idéal pour s'alimenter en vélo : eau gazeuse, gâteaux au sésame et à la pâte de haricot
Voyager à velo, c'est accumuler des images, des sensations, partager des moments intenses mais certains aussi plus difficiles. Le corps s'habitue et au bout de quelques jours, l'inaction et le repos sont difficiles à supporter.
 

La nuit du Nouvel An nous donne droit à un magnifique feu d'artifice observé aux premières loges de notre paillotte flottante. Quand tôt le lendemain, nous quittons Kanchanaburi pour les parcs naturels et les grands lacs, tout est calme sur la route. Au fil des heures, la circulation enfle. Elle enfle jusqu'à devenir insupportable : nous nous trouvons dans les bouchons et le très joyeux bordel des Thailandais qui partent en vacances. Il y a des gens partout et dans tous les sens. Entassés à 10 dans un pick-up, à 4 sur une mobylette, des familles entières dans un tuk tuk, des bus karaoke, des minibus, bref tout ce qui roule va dans la même direction que nous qui n'avons pas de point de chute pour le soir...
Nous roulons le long d'un lac jusqu'à la dernière limite de jour avant de devoir faire demi-tour : nous ne trouverons-là aucun hébergement. Il n'y a ici que des campings dans la jungle et des paillotes-radeau pour les pêcheurs. Les Thailandais aiment la nature, la bonne compagnie et font beaucoup la fête. Nous fuyons et retournons dans la dernière ville misérable où nous passons la nuit sur un futon, dans une pièce aux murs de papier avec un karaoke qui nous tient éveillés jusqu'à 4 heures du matin à nous demander où nous allons bien pouvoir trouver le calme et de quoi dormir pour les jours qui viennent.

7 - Et pourquoi pas faire quelques cols ?
Nous sommes tous les deux affaiblis par un gros rhume et divers ennuis gastriques. Mais mieux vaut passer la journée à pédaler, même lentement, qu'attendre que les choses rentrent dans l'ordre... Il y a 3 cols envisageables dans ce secteur :
- Hell Fire Pass (alt 329 m) : sur la route nationale,  c'est une montée tres douce en ligne droite jusqu'au mémorial du même nom. Nous le franchirons 3 fois, au gré de nos allers-retours et balades d'un jour, étant logés à proximité.
- Le col des 3 Pagodes : il est bien tentant ce col frontalier au nom évocateur d'aventures, mais il aurait fallu faire 300 km en aller-retour sur cette route nationale qui mène vers la Birmanie. Avec la circulation et le peu d'hébergements disponibles, nous n'avons pas trouvé le courage ni la motivation pour le faire...
- Le Col de Bontgi (alt 354 ?) : c'est lui aussi un col frontalier mais ici on ne passe pas. Perché au bout d'une petite route de campagne très reculée. Après 20 km de route vallonnée, nous stoppons à un premier poste de police où on nous laisse passer sur la simple promesse de faire demi-tour en haut. Sauf qu'en haut, c'est une piste qui butte sur une barrière et nous n'irons pas plus loin ...

En cette saison la végétation est très sèche et la forêt est jaune comme en automne. De nombreux foyers d'incendie couvent dans la foret et dégagent de la fumée. Dans la nuit nous observons 4 foyers qui se consument doucement, et il semble n'y avoir aucun moyen aérien ni terrestre pour les éteindre.

8 - Un dernier tour près des grands lacs
Les grands barrages du nord-ouest sont magnifiques mais peu accessibles. Il n'y a pas de route côtiere, ni de chemin et la jungle n'est accessible qu'aux touristes encadrés par des guides qui se rendent dans des réserves. Nous y passons deux jours dans un relief beaucoup plus accentué même si l'altitude est toute relative (400 m au maximum). Sur notre itinéraire du jour, je roule toujours avec le rhume et maintenant aussi avec la fièvre. Il fait très chaud et nous sommes au pied d'une côte inattendue de 4 km a 11 %. Sur nos VTT, la montée est bien pénible et se finit à pied jusqu'à ce que rien ni personne ne puisse me faire avancer plus loin. Nous montons dans le premier pick-up dont le chauffeur a pitié de nous.

9 - Retour à la civilisation
La fin du séjour approche et nous avons fait le tour de cette région. C'est avec l'énergie de la délivrance proche que nous faisons notre dernière étape de 100 km de retour à Kanchanaburi d'où un véhicule nous ramène à Bangkok avec nos vélos.

Quelques chiffres et réflexions à l'usage des cyclotouristes :
  • 1386 km parcourus en 19 étapes avec des VTT  avec gros pneus (choix pas du tout judicieux...)
  • des litres de sueur et quelques kilos perdus
  • les routes sont idéales pour faire du vélo car il y a toujours une bande réservée aux deux-roues
  • le comportement des conducteurs est excellent vis à vis des cyclistes
  • la Thailande est un restaurant à ciel ouvert : on trouve à manger tout le temps et partout, et à boire frais dans tous les magasin.

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